La IVème République et le sionisme

Publié le par Jean-Philippe Lasnier

Lorsqu'à la demande de René Coty, Charles De Gaulle accepte de former l'ultime gouvernement de la IVème République, le 1er juin 1958, ce n'est pas uniquement pour résoudre la crise politique due au Putsch d'Alger, le 13 mai. " Le plus illustre des français " a en tête une nouvelle constitution pour la France. Notamment pour doter le pays d'institutions solides et surtout stables. Mais pas seulement. Il veut mettre fin à l'influence sioniste qui gangrène l'Etat depuis 1949.

En effet, un an après la création d'Israël, la jeune république hexagonale reconnaît ce petit pays. C'est d'ailleurs à Paris que le journaliste et écrivain austro-hongrois, Theodor Herzl, songea à un Etat juif autonome. Ce correspondant pour le journal, Die Neue Freie Presse, couvrait l'affaire Dreyfus en 1894, il assista même à la dégradation publique de ce dernier qui criait son innocence. Prenant conscience d'un antisémitisme ancré dans les esprits, il développa la thèse d'un « abri permanent pour le peuple juif » dans son livre Der Judenstaat, l'État des Juifs et non l'Etat juif comme traduit à l'époque, en 1896. Claude Klein, professeur en droit constitutionnel, rétorque que la question juive et ce qui s'y rattache ont habité Herzl bien avant l'épisode du capitaine français.

Dès la 1ère Guerre Mondiale, le Ministre des Affaires étrangères, Jules Cambon sait être opportuniste et imite les britanniques en 1916, soutenant le sionisme afin d'affaiblir l'Empire Ottoman pour toucher son allié l'Allemagne. La Palestine était, en effet, sous sa domination. Par la suite, anglais ou français se pencheront peu sur les projets de foyer israëlite.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, 20 % des juifs de France n'a pas survécu aux persécutions nazies. En 1948, Israël suscite pour la communauté restante, ainsi que celles d'autres pays, une certaine espérance. Les dirigeants de la IVe sont mus par la volonté de faire oublier le régime de Vichy. Mais pas uniquement, Il serait naïf de penser cela. Depuis la perte de la Syrie et du Liban en 1943 et 1945, le pays de Jules Ferry craint sa perte d'influence dans le Proche Orient au profit de la Grande-Bretagne. C'est pourquoi en 1947, faisant fi de la perfide Albion, le président du Conseil, Léon Blum, le ministre de l'Intérieur, Jules Moch, et les autorités militaires facilitent le ravitaillement de navires clandestins, comme l'Exodus ou l'Altarena, chargés de réfugiés ou d'armes. Chacun y voit son intérêt, c'est un échange de bons procédés. D'autant plus que la coopération conduit Israël à fournir des formules qui font grandement avancer notre programme nucléaire. Ce qui aboutit à la première bombe atomique hexagonale en 1960.

Des personnalités françaises juives influentes

Si on se réfère au début, les relations franco-israéliennes ne sont pas aussi évidentes. Le Quai d'Orsay se méfiait des sionistes mais certaines personnalités socialistes du gouvernement tels, cité plus haut, Léon Blum ou, sans parenté aucune, Daniel et René Mayer, juifs et anciens résistants, soutenaient le Yichouv en Eretz Israel. À l'instar de Marc Jarblum, l'action pour la création de l'Etat d'Israël qui lie Blum et son directeur de cabinet, André Blumel, est révélatrice d'une certaine efficacité, durant cette période. Tous les deux sont sionistes de longue date et socialistes de conviction. Même si leurs avis divergent sur la question du rapprochement organique entre SFIO et communistes. Blumel a été un des personnages-clé du sionisme français, surtout pour l'immigration juive en Palestine. Effectivement, entre 1946 et 1948, président du Keren Kayemeth Leisraël de 1946 à 1949, co-fondateur et président en 1947 de l’Union sioniste de France, Blumel conteste avec Léon Blum, Edouard Depreux, Paul Ramadier et Jules Moch, le blocage de la Palestine aux survivants des camps de concentration. L'épisode Exodus, où il sert d’intermédiaire crucial entre les instances gouvernementales françaises, en général socialistes, et l'organisation sioniste, en atteste.

L'activisme de André Blumel

Edouard Depreux, ministre de l’Intérieur de Paul Ramadier, charge Blumel des pleins pouvoirs pour ravitailler et faire respecter la volonté des rescapés juifs, en rade à Port-de-Bouc à cause des autorités anglaises. Les réfugiés ne furent pas contraints de débarquer. André Blumel réussit à « circuler sur toutes les voies dont l’accès est interdit au public » grâce à un coupe-file spécial délivré le 29 juillet 1947 par la Direction générale de la Sûreté Nationale. Ce sauf-conduit est d'autant plus exceptionnel qu'il ne porte pas de numéro de carte d’identité mais juste la mention manuscrite qu'il travaille pour « le ministère de l’Intérieur ». Avec Léon Blum et Marc Jarblum, leur pression active concourt au vote de la France pour la création d’Israël malgré les tergiversations de diplomates comme Alexandre Parodi. Il est membre de la délégation du Crif, qui rencontre le 20 avril 1948 le Président de la République Vincent Auriol, afin de s'assurer les faveurs de l'Hexagone à la fondation d’un état juif. Ce n'est pas gagné d'avance même si le plan de partage a été validé le 29 novembre 1947. Les réticences américaines menacent l'établissement de cette nation. Le Président Harry Truman est favorable mais le secrétaire d’État, George Marshall, use de son influence pour tout remettre en cause. La France se prononce pour le plan de partage de la Palestine en novembre 1947 mais elle insiste sur le Corpus Separatum et, en tant que fille aînée de l'Eglise, sur l'internationalisation des Lieux saints de Jérusalem. D'ailleurs, elle ne reconnaît l'Etat d'Israël qu'un an et demi après.

En marge, le rôle de Blumel est important au Mossad. Il est d'ailleurs félicité par une lettre signée SM du 9 octobre 1947, au nom du « Quartier général de la Haganah en Palestine pour [ son ] activité si courageuse et si intrépide lors de l’Affaire de l’Exodus ». Une petite note manuscrite précise deux choses : SM sont les initiales de Shaul Meyerov, chef du Mossad depuis 1938, responsable de l’Alyah Beth, et « Pour des raisons bien compréhensibles, [ il a ] signé la lettre ci-inclus avec [ ses ] initiales et non en toutes lettres ». André Blumel se rapproche également de la DST lors de son passage au Cabinet d’Adrien Tixier. Elle sera plus que nécessaire dans la mission clandestine pour l’émigration juive vers la Palestine. Durant l’Occupation, il a noué des liens en prison avec le gaulliste, patron de la DST, Roger Wybot, dont il deviendra l'avocat, et son adjoint Stanislas Mangin, Cagoulards à l'époque.Très proche, depuis la Résistance, du locataire de la place Beauvau, Edouard Depreux, il profite de l’appui de l’administration. Juin 1946, il anime le réseau de l’Alyah Beth en France, aidé de Jules Moch, secrétaire général de la Présidence du Conseil, Daniel Mayer, éphémère secrétaire général de la SFIO et son homonyme René Mayer, député radical du Constantinois. Ses visites en Palestine sont fréquentes et suivies d'un compte-rendu au Quai d’Orsay, sous le nom de Farhi, tandis qu'il sert corps et âme la cause du Mossad. L’historienne israélienne, Idith Zerthal, rapporte dans son livre, à prendre avec des pincettes, Des rescapés pour un État, que l’émetteur principal du Mossad auparavant confisqué par la DST, fut placé chez la mère de Blumel à Rueil-Malmaison. De 1948 à 1957, il n'est plus membre de la SFIO et n'y revient qu'à l'insistance de son ami Depreux, président du groupe parlementaire socialiste. Nommé à la présidence de la Fédération sioniste de France en 1954, le soutien zélé du gouvernement Guy Mollet à Israël joue également beaucoup. Mais lorsque ce dernier, en tant que premier secrétaire du parti, se rallie à De Gaulle en 1959, il part de nouveau.

Coopération prolifique

Fin 1954, se mettent en place des échanges qui aboutissent en 1956-58 à une alliance politico-militaire dictée par le contexte géopolitique. En effet, l'Egypte participe à deux événements majeurs contrariant notre pays. Inspiré par le panarabisme, le président Nasser apporte un vague soutien logistique aux insurgés d'Algérie, dès novembre 1954, et nationalise le canal de Suez en juillet 1956. Logiquement, les relations franco-israéliennes s'intensifient : stratégie planifiée conjointement, armement lourd vendu à l'Etat hébreu, assistance navale et aérienne en cas d'attaque égyptienne, rapprochements culturels, universitaires et linguistiques, entraide technologique... Israël devient un poste d'observation pour l'Occident. Ce qui l'arrange pour se débarrasser de la résistance palestinienne à Gaza.

L'exceptionnelle opération militaire tripartite du Sinaï (Israël) et du canal de Suez (France et Grande-Bretagne) en octobre-novembre 1956 est due à l'entente anglo-franco-israélienne conclue l'été précédent en secret. L'attaque surprend l’Egypte. Leurs puissances conjuguées contre cette nation, indépendante depuis peu, les laisse victorieux, forcément. Mais les Etats-Unis et l’URSS s'en mèlent et les contraignent à retirer leurs troupes. C'est un échec lourd pour les deux empires coloniaux finissants. À partir de l'année suivante, comme évoqué un peu plus haut, Israël aide l'Hexagone pour l'arme atomique et lui achète un réacteur pour son centre de recherche nucléaire de Dimona. D'un point de vue géostratégique, cette coopération permet à la jeune nation de devancer de loin ses voisins arabes, encore aujourd'hui.

La France complice d'Israël

Concernant la SFIO de Guy Mollet, on a connu mieux comme introduction sur la scène internationale pour un parti politique. Son bilan se résume souvent à la guerre d'Algérie ainsi que les élections truquées, l'envoi du contingent et la torture normalisée qui s'y rattachent. Elle sauve en vain un empire dont le démantèlement est inévitable, incapable de se départir de cette conception, héritée de Jules Ferry, d'une Europe civilisatrice d'un monde sous-développé.

L'Etat d'Israël est d'une certaine manière son pendant. Ce qui explique peut-être le soutien sans bornes de l'Hexagone à la formation de la nation juive. Ce qui fait d'elle une exception en vertu du droit international; elle peut envahir des territoires sans être inquiétée. Les pays occidentaux, à l'origine de blessures profondes infligées au Proche-Orient arabe, volontairement ignorées, sont complices du colonisateur sioniste. Sous la 4ème République, la SFIO prépare le terrain pour Israël en diabolisant le nationalisme arabe.

Guy Mollet voulait à la fois se débarasser du FLN et donner une leçon à Nasser, opposant à Israël. L'officier égyptien ressort grandi comme jamais du fiasco de Suez. Le FLN obtient l’indépendance de l’Algérie en 1962 et la SFIO entame une lente décomposition qui se termine avec les 5% de Gaston Deferre aux présidentielles de 1969.

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